Un phare dans l'océan

L’accueil des immigrés est l’avenir de l’humanité


Le lendemain, Marc partit de bonne heure car il devait rejoindre Rodolphe pour manger. Pendant son trajet, la radio parlait de l’immigration. Marc écoutait attentivement car il avait été frappé par la capacité des Etats-Unis à intégrer des immigrés. Chaque année, la croissance démographique de ce peuple et donc sa puissance dans le monde croissaient grâce à l’afflux d’immigrés. L’Europe occidentale, à l’opposé, intégrait peu d’immigrés et avec sa faible natalité, le pourcentage de la population vivant en Europe diminuait chaque année.
Lorsqu’il vit Rodolphe, Marc décida de lui parler de ce problème car il voyait le monde comme un tout. Il était déçu que l’Europe se soit fermée sur elle-même et qu’elle ait perdu sa capacité à faire progresser l’humanité. Traumatisée par son histoire violente où la shoah côtoie la colonisation, elle avait dressé des murs invisibles à ses frontières et la diminution relative de sa population entraînait une diminution relative de sa culture dans le monde. Si le temps de la colonisation était terminé, il était important d’accueillir les populations du monde pour leur faire partager des valeurs et des techniques qu’elles pourraient ensuite redistribuer à leurs frères restés au pays.
Rodolphe voulu temporiser ces paroles flatteuses pour le peuple américain.
- Tu sais, les immigrés qui arrivent aux Etats-Unis, n’ont en général aucun papier et il est très difficile pour eux de trouver un logement et du travail. Du coup, ils exercent les métiers que tout américain refuserait. Tu dois en savoir quelque chose, toi qui travailles soixante-dix heures par semaine pour un salaire de misère !
Rodolphe disait vrai car Marc continuait à travailler dur au restaurant cinq jours par semaine. Mais il n’avait pas le choix car aucun employeur ne souhaitait embaucher un sans-papier.
Rodolphe poursuivit
- Aux Etats unis de nombreux bourgeois se sont enfermés dans leurs habitudes et ils craignent ces étrangers qui amènent avec eux une certaine insécurité. De même que les américains ne se comportent pas forcément comme des hôtes, les immigrés ne se comportent pas comme des invités respectueux des coutumes et des biens. Nous avons donc de nombreux problèmes d’intégration.
Marc savait tout ça. L’immigration est un sujet complexe car l’homme a peur de ce qu’il ne connaît pas et en période de crise, l’immigré devient le bouc émissaire, responsable de tous les problèmes.
Marc reprit.
- L’Europe se meurt car sa place dans le monde diminue chaque année du fait même de sa démographie. La seule solution est un repeuplement par l’immigration associée à une politique de natalité. Rodolphe, toi qui as l’expérience des Etats-Unis, comment penses-tu que l’Europe pourrait accueillir les immigrés sans provoquer de grands troubles sociaux ?
- L’immigration européenne peut venir des pays slaves, des pays d’Afrique, de la Turquie, de l’Inde ou de la Chine. Evidemment plus le fossé culturel est faible et plus l’intégration est facile. Il faut donc privilégier les populations d’Europe de l’est comme l’Ukraine, la Bulgarie ou la Biélorussie. Mais ces pays sont trop faiblement peuplés et leur croissance démographique est trop faible pour repeupler l’Europe occidentale. Vous n’avez pas le choix, il faudra intégrer des populations venues de Turquie, d’Afrique et de l’ancien empire des indes britanniques.
- Et comment fais-tu pour intégrer sans heurts ces populations ? reprit Marc qui connaissait assez la géopolitique pour savoir que ce choix était le seul raisonnable.
- Votre problème en Europe, est votre attachement à des principes à défaut d’être pragmatique. Vous voulez traiter les immigrés de la même manière que tous les citoyens du pays. Au lieu de penser en droits de l’homme, vous devriez penser en termes de contrat gagnant pour l’immigré par rapport à sa situation actuelle et gagnant pour le pays. L’Europe est capable de donner beaucoup car elle est suffisamment organisée pour donner un métier, un toit, une éducation gratuite, une justice impartiale et beaucoup d’autres choses que les futurs immigrants n’ont pas dans leur pays. Les immigrants peuvent donner beaucoup par leur force de travail et en cotisant pour vos retraites. En général, leurs enfants sont nombreux et ils permettront de repeupler le pays. Enfin, ils auront cette double culture qui est une force extraordinaire avec la mondialisation.
- Tu vois Marc, reprit Rodolphe qui détendait ses jambes engourdies, vous devriez faire signer un contrat à tout nouvel immigrant qui arrive. Il aurait des droits et des devoirs comme celui d’éduquer leurs enfants en leur apprenant la culture européenne ou de travailler dans des entreprises européennes pour participer à leur richesse. En contrepartie, la société leur donnerait gratuitement un accès à l’école, à la justice et même un toit. Par contre, si les immigrés échouent dans leurs devoirs avec par exemple un enfant qui devient délinquant ou une volonté de ne pas travailler, c’est toute la famille qui est expulsée. Le contrat se doit d’être simple. Ce contrat pourrait avoir une durée de dix ans avant que la nationalité européenne ne soit donnée. L’immigrant deviendrait alors un citoyen à part entière et il perdrait tous ses droits et ses devoirs d’immigrés.
- Mais quel est l’intérêt d’un tel contrat ? demanda Marc.
- Les intérêts sont multiples. Le premier est que l’immigré se doit de s’intégrer s’il veut rester en Europe. Il est contraint de réussir car un retour dans son ancien pays est synonyme de la perte de trop d’avantages. Le deuxième est que l’Etat peut suivre de manière individualisée la part des immigrés dans le paiement des retraites, de la croissance démographique ou plus simplement pour le paiement de l’impôt. C’est très important pour communiquer vis-à-vis des habitants européens qui auront investi lourdement pour payer des logements, des écoles, une police, des tribunaux à tous ces nouveaux arrivants. Il faut que les européens comprennent qu’ils sont gagnants avec un retour sur investissement en cinq ou dix ans.
Marc écoutait attentivement. Il connaissait l’Europe et cette approche très pragmatique risquait de heurter la sensibilité de ses compatriotes très attachés à la phrase « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit ». Or ce que Rodolphe proposait, c’était un statut de l’immigré, différent du statut de citoyen européen. Le premier article des droits de l’homme était donc bafoué ! Marc savait qu’une telle proposition serait suivie par une levée de bouclier, qu’il serait insulté de proxénète, d’enfoiré et d’inhumain. Aussi il continua de demander conseil à son ami.
- Saurais-tu communiquer sur une telle mesure, dans un pays qui est à l’origine des droits de l’homme et du citoyen sans te faire traiter de facho ou d’insensible à la misère humaine ?
Rodolphe qui ne connaissait pas bien l’Europe ne comprenait pas la question.
- Qui oserait te traiter de salaud alors que tu veux sortir de la misère des millions d’êtres humains en leur proposant de vivre en Europe dans des conditions décentes ? Avec le contrat dont je te parle, tout le monde y gagne. Les Européens qui vont pouvoir financer leur système social par le travail des immigrés et les immigrés qui quittent leur misère et vont avoir les moyens d’offrir à leurs enfants une vie agréable avec l’éducation, l’eau courante et la chance de se cultiver et d’apprendre !
C’est en ces moments-là que Marc comprenait que le pragmatisme américain manquait à une Europe enfermée dans sa glorieuse histoire et dont chaque évolution entraînait une crispation féroce. Marc savait que Rodolphe ne pourrait pas l’aider à construire une communication claire vis-à-vis de ses concitoyens. Il décida donc d’approfondir l’idée d’une immigration massive.
- Le rêve de Cordoue serait alors exhaussé, pensa Marc à voix haute. Voyant que Rodolphe ne connaissait pas cette référence, Marc esquissa rapidement sa vision du rêve de Cordoue :
- Vers 1200, le Sud de l’Espagne était occupé par les arabes. Ils avaient fondé à Cordoue, un lieu de culture où les européens et les arabes vivaient en harmonie. Les chrétiens, les juifs et les musulmans exerçaient leurs religions sans querelle. La bibliothèque de Cordoue était la plus magnifique et la plus grande du monde. La ville rayonnait sur tout le monde arabe et occidental. Pendant la centaine d’années où Cordoue fut admirable, les gens vivaient dans ce creuset qui était l’endroit le plus créatif du monde.
- D’ailleurs, n’importe quel être humain un peu cultivé, sait bien que la civilisation avance avec le brassage d’hommes d’origines diverses. Une civilisation qui se ferme aux influences extérieures finit toujours par mourir, reprit Rodolphe pour qui Cordoue n’était qu’un exemple parmi tant d’autres.
Marc revint vers le sujet qui l’intéressait
- Je vois un autre avantage à ton contrat car l’Europe s’engage par sa signature à offrir aux dizaines de millions de personnes qui arriveront sur son sol, un toit, des écoles, des tribunaux… et cela me fait penser à l’après guerre quand tout était à reconstruire. L’économie de reconstruction avait permis à l’Europe de ne plus connaître le chômage pendant trente ans. De même, l’immigration massive permettrait de relancer l’économie en construisant des routes, des maisons, des chemins de fer, des banques, des réseaux d’eau potable, d’électricité ou de communication. Tous ces biens seraient financés par les entreprises privées ou appartenant à l’Etat. Le chiffre d’affaires des entreprises européennes augmenterait énormément avec l’augmentation du nombre de clients. Les entreprises acquerraient une force financière décuplée pour s’ouvrir à l’international.
Rodolphe interrompit Marc :
- L’idée de l’immigration comme moteur de l’économie est excellente mais où veux-tu loger toutes ces nouvelles personnes car l’Europe est déjà très densément peuplée et si tu les accueilles dans vos villes, les immigrés s’installeront forcément en périphérie dans des immeubles aux étages innombrables, où la vie risque d’être insupportable ?
- La France, par exemple, ne compte que cent dix habitants au kilomètre carré ce qui est trois fois moins que le Japon au relief très accidenté et quinze fois moins que maintes régions d’Inde. En France, on pourrait facilement construire une cinquantaine de villes nouvelles d’un million d’habitants chacune. Nous avons quatre-vingt-seize départements, et excepté en l’Ile de France, une bonne moitié des départements pourraient facilement accueillir une ville d’un million d’habitants pour la simple raison que cette ville n’existe pas aujourd’hui. Je pense qu’en cinq ans, la France pourrait accueillir cinquante millions d’immigrants ce qui donnerait du travail à tout le pays pour recevoir dignement toutes ces nouvelles personnes.
Rodolphe était pensif.
- Si tu crées des villes nouvelles, elles risquent de n’être habitées que par des immigrants. Comment dans ces conditions peux-tu faire de l’intégration ?
Marc réfléchissait en même temps qu’il parlait, emballé par la puissance de l’idée :
- Déjà l’école serait en français, les prix, les panneaux, les réunions seront toutes en français. La ville sera construite par des habitants volontaires qui vivent en France et qui pendant les travaux auront déménagé pour vivre dans ces nouvelles villes. Ils constitueront donc le tissu associatif nécessaire à l’effet boule de neige. Ils créeront les clubs de football, de lectures, les théâtres qui sont les vecteurs de notre culture et de nos valeurs. De plus, on peut faire en sorte que les villes accueillent des turcs, des chinois, des indiens, des algériens, des nigériens et qu’ainsi leur unique possibilité de discuter ensemble soit de disposer d’une langue commune qui sera celle du pays d’accueil.
- Tu penses donc que tes villes avec cinq pourcent de français pourront devenir des villes françaises ? demanda Rodolphe incrédule.
- Pour moi, être français, c’est croire en un idéal. La France a toujours était un pays d’immigration et être français n’a aucun sens si on pose la question en terme de génétique ou de faciès. Je pense sincèrement que tous ces nouveaux immigrants peuvent adhérer à cet idéal laïc où la liberté et l’égalité en droit sont des valeurs fondamentales. De toute façon, grâce au contrat, les personnes qui ne respecteraient pas ces valeurs de base, seraient renvoyées dans leur pays. Je trouve ton idée de contrat excellente car l’immigré s’engage à s’intégrer. Grâce à ce contrat, les citoyens français sont tranquillisés et accepteront plus facilement d’accueillir les étrangers.
Rodolphe qui trouvait lui aussi l’idée de l’immigration excellente, voulait voir l’impact sur le reste du monde.
- Ainsi l’Europe pourrait accueillir deux cent cinquante millions d’habitants en dix ans. Les pays en voie de développement disposent d’un vivier de cinq milliards d’habitants. Ne crains-tu pas de voler à ces pays, la force vive nécessaire à leur développement ?
- L’Inde à elle seule peut fournir cent millions d’habitants. Si le monde développé laisse ces habitants dans leur pays d’origine, il sait très bien qu’il les condamnera. Il est trompeur de croire que l’Inde pourra se nourrir car même si la nourriture pullule aujourd’hui, les rendements agricoles risquent de chuter tragiquement suite à la surexploitation des sols. Cela poussera inexorablement des millions de personnes affamées sur les routes car ces personnes n’accepteront pas de mourir de faim sans rien faire. Elles se mettront en mouvement dans des migrations gigantesques et si nous ne sommes pas en état de les accueillir, elles viendront quand même avec tous les problèmes inimaginables que cela entraînera.
Rodolphe sourit.
- Ainsi l’immigration massive est pour toi la solution à tous les problèmes de la planète ?
Marc enhardi par cette idée qu’il trouvait magique répondit :
- En tout cas, l’immigration permettra de sauver des millions de gens de la misère, de sauver le modèle social des pays d’Europe qui est basé sur une population jeune, de donner un travail à tout le continent européen et de partager les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité au plus grand nombre. Le problème que cela pose est le risque d’une guerre civile entre ces nouveaux venus et les habitants originels. Il faudra travailler sur ce sujet, reprit Marc songeur.
- En fait, repris Rodolphe, tu veux faire la Chine chez toi ?
Devant l’étonnement de Marc, Rodolphe reprit
- Le miracle chinois repose en partie sur la technologie occidentale. Ce sont les occidentaux ou les japonais qui apprennent aux chinois à construire des usines, faire des voitures, de l’acier, des machines outils et ainsi devenir l’usine du monde. Sans s’en rendre compte l’Europe devient dépendante de la Chine. Celle-ci peut stopper ses exportations à tout moment stoppant ainsi la production industrielle de l’Europe qui n’aura plus les produits semi-finis nécessaires à la construction de ses voitures, téléphones ou autres avions… Avec ta politique d’immigration et tes villes nouvelles, tu peux créer des endroits détaxés ou la main d’œuvre sera aussi bon marché qu’en Chine. Tu pourras donc réimplanter une industrie nécessaire à l’indépendance industrielle.
Marc sourit
- Encore un argument supplémentaire à cette politique d’immigration : redonner à l’Europe son indépendance industrielle ! Je pense que l’idée est là. A nous deux, nous sommes trop peu intelligents pour construire cette politique d’immigration. Il faut absolument faire un Grenelle de l’immigration où l’Europe entière participerait. Avec quatre cent millions d’Européens qui travailleraient ensemble sur le nouveau statut de l’immigré, on répondrait à toutes les sensibilités humaines et par cette communication importante, on désamorcerait une possible guerre civile.
- Bon, je crois que tu me dois une bière car grâce à notre discussion, l’Europe va se réveiller et redevenir un acteur majeur du monde au même titre que les Etats-Unis, la Chine et un jour l’Inde.
- Champagne ! répondit Marc.
Cinq minutes après, il trinquait avec son ami.


Article rédigé par: Julien Bourlon le 07/03/09
Cet article est la modification du texte de: Julien Bourlon le07/02/09
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