Ai-Li déclare la guerre à Marc

Mai 2022 fut un mois électoral très important avec l’élection du premier président de Hope et du nouveau président français. Marc Couturier se présenta et gagna facilement les élections de Hope, ce jeune pays de 4 millions d’habitants. Il laissa la présidence française à son ancien premier ministre M. Vaillant, un homme intègre et fervent défenseur de Hope. Il y avait encore deux dates cruciales pour le nouveau pays. Juin 2023 avec la décision de lancer la création de douze nouvelles villes et juin 2026 avec la décision de créer les trente-quatre suivantes. L’avenir de Hope dépendait donc de la bonne volonté des français de poursuivre l’expérience et M. Vaillant à la présidence française était un gage de succès.

Marc se mit immédiatement au travail dans ses nouvelles fonctions de président de Hope et dés septembre 2022, les nouvelles lois pour réguler l’économie du pays étaient présentées au peuple. Depuis mars 2022, Hope était devenue une démocratie participative, avec les citoyens qui se substituaient au parlement pour voter les lois. Les experts avaient remplacé les députés pour expliquer les enjeux et Internet était devenu le média de la démocratie avec des forums de discussion et des articles qui aidaient les gens à prendre leur décision. Tous les habitants de Hope âgés de plus de 18 ans pouvaient voter par Internet avec obligation d’exercer ce droit ou de le déléguer à quelqu’un. Marc avait ainsi récupéré un millième des droits de vote de Hope, le maximum légal car quelques milliers de citoyens lui avaient délégué leur vote. D’autres personnalités politiques avaient récupéré les droits de vote de citoyens mais ceux-ci pouvaient leur reprendre à tout moment et jusqu’à la dernière seconde, ils pouvaient voter en leur nom. Ces nouveaux « députés » étaient peu nombreux car un grand nombre de familles avaient préféré déléguer leur vote à un de leur membre quand d’autres personnes votaient individuellement à chaque session. Suivant qu’il s’agissait d’économie, d’écologie ou d’éducation, le peuple pouvait choisir de déléguer son vote à des personnes différentes, ce qui multipliait le nombre de représentants du peuple. Ces dizaines de milliers de votants rendaient le résultat des scrutins incertains, impossible à corrompre et représentatif de la population de Hope. La classe des riches, actifs et cultivés qui est surreprésentée dans les démocraties représentatives comme la France n’était plus avantagée. Les sessions de vote à Hope avaient lieu tous les quinze jours avec le gouvernement, mais aussi les citoyens qui pouvaient proposer de nouvelles lois. En septembre 2022, les lois proposées par le gouvernement de Marc furent l’effet d’une bombe avec la transparence totale des revenus, la suppression des filiales, l’externalisation de la gestion des entreprises, l’élection des patrons par les actionnaires et les salariés... et d’autres mesures pour empêcher l’évasion fiscale ou les montages financiers aux bénéfices de quelques uns. La transparence des revenus était certes une atteinte à la vie privée, mais Marc voulait absolument partager cette information avec la population car la démocratie participative ne peut fonctionner que si les citoyens disposent d’une information fiable. Or l’argent est le nerf de la guerre et avant de faire une réforme, il est fondamental de savoir les enjeux. Par exemple, qui paient les impôts à Hope ? Qui sont les perdants, les gagnants du système ? Cette transparence sur les salaires et les impôts ne visait absolument pas l’égalité qui détruit toute motivation mais elle était voulue pour donner aux citoyens les moyens de voter des lois qui garantissent une société équitable.
Outre une société plus équitable, la démocratie participative garantissait que plus aucun président de Hope ne pourrait changer la constitution sans la validation du peuple ce qui était un gage rassurant pour éviter qu’un futur dirigeant ne décide de fliquer les gens en se passant de l’autorisation des juges comme le craignait Victor, l’ami de Julien. Dans un système où les décisions sont atomisées, un fou n’avait plus aucune chance d’entraîner tout un peuple dans sa folie.

Alors que le débat faisait rage sur les forums Internet avant le vote des nouvelles lois, Marc Couturier invita Ai-Li Martin à dîner. Il ne l’avait plus revue depuis un an après que la belle asiatique avait compris qu’elle n’obtiendrait rien de plus par le sexe. Le président de Hope la suspectait d’avoir payé des spécialistes pour discréditer son projet de réformes, mais il avait besoin de la voir pour connaître ses arguments. Le repas eut lieu à Paris dans le même restaurant aux trois étoiles Michelin où ils avaient eu leur première relation sexuelle.
- Bonjour, Ai-Li. Je reste fasciné par ta beauté qui s’épanouit au fil des années.
- Je ne peux pas en dire autant pour toi, tu sembles au bout du rouleau !
Marc voulait jouer avec elle. Il aimait cette adversaire coriace qu’il respectait pour la qualité de leurs combats, mais dont il détestait l’égoïsme primaire.
- Je sais, ma femme a des élans amoureux quotidiens qui m’épuisent.
Ai-Li ne releva pas.
- Alors pourquoi souhaites-tu me voir ?
- Je voulais savoir ce qui te fait peur avec les nouvelles lois proposées par mon gouvernement ?
- Marc, tu es en train de changer les règles d’un jeu où mes amis et moi étions les rois. Crois-tu vraiment que nous te laisserons faire ?
- Pour l’instant vous gagnez beaucoup d’argent à Hope avec une valorisation de la bourse qui anticipe déjà l’arrivée des douze prochains millions d’immigrés. Pourquoi cet acharnement contre mes projets alors que je t’enrichis ?
- Ne joue pas au naïf avec moi. Avec tes nouvelles lois, les salariés surveillent nos revenus et nos impôts, nous ne pouvons plus faire de montages financiers et les salariés comptent pour 50% dans l’élection des patrons de toutes les entreprises de plus de 100 personnes !
- De quoi as-tu peur ? Ces mesures permettent d’avoir des entreprises pérennes avec des salariés beaucoup plus impliqués et donc motivés. Les actionnaires qui possèdent ces entreprises vont être riches !
- Demande à Louis XVI, s’il a aimé la république qui a rendu la France assez puissante pour conquérir l’Europe. Son pays était devenu fort mais lui, il en a perdu sa tête.
- Avec les nouvelles lois, les seules personnes qui vont perdre sont celles qui tirent avantage de leur fonction pour piller un patrimoine qui ne leur appartient pas. Tous les autres gagnent et parmi tes amis, ils seront beaucoup plus nombreux à gagner qu’à perdre mais il est vrai que pour toi, c’est la fin de tes magouilles dans les paradis fiscaux !
- Tu es bien naïf. Tu n’imagines pas combien nous sommes nombreux à détourner des millions grâce à cette belle mondialisation qui nous a fait des lois sur mesure à force d’un travail acharné de nos lobbies auprès des politiques. Et toi, tu veux tout casser ? Je t’avertis que si tes lois passent, je le vivrais comme une déclaration de guerre. La France va souffrir et nous ferons en sorte qu’elle ne vote pas l’extension de Hope avec la création des douze nouvelles villes en juin 2023.
Marc inspira longuement pour s’oxygéner le cerveau et lui donner le temps de réfléchir. Il avait longtemps redouté ce moment où les perdants de la révolution se rebelleraient. Jusqu’à présent, il leur avait permis de gagner beaucoup d’argent en investissant à Hope, l’endroit le plus dynamique du monde mais même s’ils allaient continuer à en gagner, les nouvelles lois allaient aboutir petit à petit à une plus grande justice sociale qui les amènerait inéluctablement à partager davantage leur richesse. Marc se mit à se gratter son sourcil gauche en même temps qu’il se massait son arcade sourcière. Elle ressortait bizarrement sur les cotés de ses yeux et c’était devenu un tic de les frotter quand il réfléchissait. Enfin, il se décida à parler
- Si tu veux la guerre, tu l’auras. Je ne renoncerai pas à mes lois que je crois justes. S’il y a le moindre mort, je te ferai abattre sans jugement par des tueurs que je connais. De même, j’ai prévu que si je meurs, mes amis te le feront payer à un prix incroyable en te torturant pendant des heures et en détruisant devant tes yeux tout ce que tu as aimé. Cela prendra des jours qui te paraîtront plus long que toute ta vie. Je te conseille de bien réfléchir avant de tenter toute action contre Hope ou contre moi, mais par contre, je crois aux vertus de la démocratie et je te laisse payer tes experts pour démontrer que toutes mes nouvelles lois sont mauvaises pour l’avenir de Hope. Je payerai les miens pour démontrer le contraire.
Le président avait parlé en la regardant droit dans les yeux et Ai-Li Martin qui le connaissait bien, avait compris qu’il ne bluffait pas. Marc savait qu’il s’était fait comprendre mais pour ajouter un peu plus de crédit à son discours, il lui tendit une photo de femme découpée au scalpel qui semblait encore vivante. L’image était d’une violence incroyable avec du sang coagulé à peu prêt partout et une douleur perceptible dans le regard hagard de la jeune torturée dont les zones érogènes avaient été labourées avec minutie. Il ajouta :
- Ce serait dommage que ton petit corps ressemble à ça.
La femme d’affaires regarda la photo sans tressaillir comme habituée à ce genre d’image effroyable. Cela sembla même l’exciter et elle ajouta dans un sourire énigmatique :
- Malgré tes cernes, je vais te montrer que ta femme est une incapable sexuelle. Après on se déclare une guerre idéologique mais tu as ma parole que dans un premier temps, celle-ci ne fera pas de mort.
Marc savait que les femmes prennent plus de plaisir que les hommes dans les rapports sexuels et en se refusant à elle, il la ferait regretter de lui déclarer la guerre. Mais il se punissait lui-même car les amours d’adieux sont les meilleurs. Enervé par la stupidité du destin, il se leva et mit fin à la conversation en ces termes brutaux
- Je crois que je n’arriverais pas à bander.
Au moment de passer la porte, Marc Couturier se retourna une dernière fois et avertit Ai-Li Martin qu’il ne croyait guère à sa promesse de guerre sans mort.
- Je lance les services secrets sur toi et ton groupe d’amis. Adieu Ai-Li.