Un phare dans l'océan

Premiers jours de Jasur à Hope


Le concert de Bono avait été magique. C’était la première fois que Sarvar et Jasur participaient à un concert de 50 000 personnes et ils avaient adoré malgré le choc des cultures particulièrement rude pour Sarvar. Avec Jason, l’ami yankee, ils avaient fait la rencontre de filles américaines et brésiliennes éméchées par les excès de vins, de bières ou de vodka. Elles avaient été bien aidées par l’organisateur de la soirée qui avait demandé que tous les alcools, les joints et la nourriture soient accessibles en libre service et certaines personnes en avaient abusés. Il avait souhaité que les habitants de Hope fument et boivent, non par goût de la luxure, mais parce que les liens entre les gens se créent plus facilement dans les brumes de l’alcool ou de l’herbe. Or pour le premier jour, il fallait aider toutes ces personnes qui ne parlaient pas la même langue à se rencontrer et se connaître. Par respect pour les personnes qui ne souhaitaient pas boire ou fumer, une partie du stade leur avait été réservée mais à 25 ans, Jasur et ses amis s’étaient joints au groupe des épicuriens.

Le peuple de Sarvar était très majoritairement musulman et ne buvait pas d’alcool. La virginité le jour du mariage était la règle et les femmes mangeaient séparément des hommes. Sarvar fut choqué du comportement de ces américaines qui acceptaient d’embrasser tous les garçons. Sa culture pudique, le fit reculer lorsqu’une fille voulut l’embrasser et il commença à se sentir mal à l’aise. Pourtant, il réussit progressivement à rentrer dans l’ambiance car les participants voulaient faire la fête et leurs intentions étaient celles du partage, de la joie et de l’allégresse. Pour favoriser son intégration avec ces gens aux mœurs étranges, il alluma un joint et aspira longuement quelques lattes. L’effet fut immédiat, il se sentit euphorique et rapidement réintégra les conversations qui continuaient joyeusement. Malgré son excitation et les filles faciles qui tournaient autour de lui, Sarvar resta fidèle à ses racines et n’embrassa aucune femme. Jasur connaissait les fêtes russes et fut beaucoup moins surpris que son compagnon. Il était trop heureux de pouvoir s’amuser sans être jugé et il but énormément.

Le lendemain, il se rappelait sa soirée partiellement. Il visualisait notamment la fille qu’il avait embrassé, lui enlevait ses mains qu’il avait posé sur ses hanches. Elle disait embrasser les gens par esprit de fraternité mais cela n’irait pas plus loin. « Jeune allumeuse ! » pensa-t-il. Alors qu’il se tenait le crâne à deux mains, un autre souvenir lui revint. Il avait croisé Gérard, un français qui était clochard à Paris et qui s’était fait convaincre par une gentille bénévole qu’il devait aller à Hope pour recommencer sa vie. Il avait accepté contre un sandwich puis elle l’avait inscrit sur le site web pour qu’il dispose d’un ticket d’entrée. Son premier jour à Hope était une réussite mais saurait-il se lever le lendemain pour aller à la bourse pour l’emploi ? Jasur ne le saurait jamais. Il s’aspergea la tête et s’aperçu qu’il était dans sa chambre dans le quartier Arc-en-ciel de la ville temporaire. Il avait donc réussi à rentrer ! Jetant un regard aux alentours, il aperçut une grande enveloppe posée sous sa porte avec son nom marqué dessus. Il se leva pour l’ouvrir.

L’organisateur de la soirée, aidé d’une équipe de trente personnes, avait profité du concert pour analyser le comportement des différentes communautés. Les asiatiques étaient restés à l’écart. Les brésiliens, les américains et les africains s’étaient déjà mélangés dans une même communauté colorée. Les indiens musulmans se mélangeaient principalement avec des musulmans tandis que les Sikhs ou les Indous avaient tenté de s’intégrer avec moins de succès que les brésiliens. Ce constat ne plaisait pas à l’organisateur qui souhaitait une réelle communion entre les peuples. Le lendemain de la fête, il réunit son équipe pour trouver des solutions à l’intégration de toutes les communautés. Evidement l’équipe comptait des japonais, chinois, coréens, vietnamiens de culture asiatique et qui étaient à même de comprendre ce qui n’avait pas fonctionné. Le groupe établit collégialement une nouvelle stratégie pour la prochaine fête qui aurait lieu dans six jours. La première partie de soirée serait consacrée à un spectacle chinois avec des lions et des dragons qui évolueraient sur une musique rock venue du Japon. Des « géo » payés par Hope circuleraient dans la foule afin de briser la glace avec les asiatiques en leur demandant par exemple d’expliquer la signification du spectacle. C’était déjà la sixième soirée de bienvenue et l’équipe chargée de son organisation n’avait toujours pas trouvé la bonne formule pour mélanger les peuples. Il restait encore quatorze essais pour trouver la bonne formule avant que tous les habitants de la première vague soient arrivés. Quel que soit le résultat, la meilleure soirée d’intégration serait reprise pour les autres villes de Hope.

Jasur lut la lettre qui n’était malheureusement pas celle d’une fille rencontrée lors du concert mais un rendez-vous obligatoire à la bourse de l’emploi le lendemain matin à 10 heures. Le respect de l’horaire était important car chaque jour, 6000 nouveaux immigrants étaient attendus par les 1500 officiels français en charge de les aider. En attendant son rendez-vous, Jasur n’avait rien de prévu et il décida de visiter les différentes associations. Il aimait la nourriture et se rendit au club de la gastronomie indienne. Il rencontra évidement beaucoup d’Indiens qui s’étaient retrouvés entre eux grâce à ce club. C’était tellement difficile de communiquer avec les gens quand il n’y avait pas de langue commune qu’il était bien compréhensible que les communautés se reforment. Certains vétérans étaient à Sphères depuis cinq semaines et Jasur en profita pour connaître leurs emplois, leurs salaires, le fonctionnement des cours de français et s’ils étaient contents de leur nouvelle vie. Arat, trente ans, avait été chauffeur de taxi en Inde. Son métier n’existait pas dans la ville nouvelle car tous les transports étaient automatiques. On lui avait toutefois proposé le métier de routier pour lequel il devait d’abord passer son diplôme de conducteur « Poids Lourd ». La demande était forte dans ce secteur car la production de textile avait déjà commencé dans les usines et il fallait l’acheminer aux quatre coins de l’Europe. Après quinze jours de formation, Arat avait transporté son premier chargement accompagné par un sympathique routier français retraité. Ses trois premières semaines de formation en français lui permettaient d’utiliser une cinquantaine de mots clés. C’était suffisant pour une conversation simple dont le mérite était d’exister. Le retraité lui avait appris quelques jurons et ils avaient bien rigolé en disant « fils de pute » et « sale connard ». Arat, grâce à son emploi salarié, avait acheté à crédit un petit appartement de 40 m2 situé dans la seule sphère construite. Il était à coté de la plage familiale où il aimait aller se baigner dans l’eau à 25 degrés. Le mercredi soir, pour fêter son acquisition, il organisait une petite fête où Jasur fut invité. Petit à petit, l’intégration se faisait. Elle était favorisée par les associations et les métiers. Si les associations recréaient les communautés, les métiers et les cours de français permettaient d’assurer la mixité car le programme informatique qui proposait les emplois, faisait attention à mélanger les peuples.

Le lendemain, Jasur se rendit à la bourse de l’emploi où il fut reçu par une hôtesse qui lui demanda la langue dans laquelle il souhaitait communiquer, puis on le dirigea vers un officiel français qui parlait anglais. L’entretien dura deux heures pendant lesquelles Jasur parla de ses compétences, de son expérience et du métier qu’il souhaitait exercer. Pour l’instant, 20 000 emplois étaient vacants mais ce nombre augmentait chaque jour avec l’arrivée de nouvelles entreprises. L’officiel français intégra les paramètres de Jasur dans l’ordinateur en lui annonçant qu’il devrait revenir le lendemain à 14 heures pour recevoir une liste de cinq interviews pour cinq emplois différents. L’ordinateur, contrôlé par des professionnels, essaierait de contenter au maximum les demandeurs et les employeurs. A la fin de l’entretien, l’officiel français salua le jeune ouzbek en lui rappelant que son test de français était programmé le lendemain à 8 heures dans l’école de langue.

Jasur partit ensuite visiter la seule sphère terminée pour se faire une première idée du quartier qu’il habiterait une fois que son emploi serait assuré. Seul 25% de la ville était construit et les 75% restant était un énorme chantier. Les chefs d’équipes étaient principalement des français qui encadraient des ouvriers hopiens. La proportion des habitants de Hope était de plus en plus importante et les chefs d’équipe français avaient comme mission principale de les faire monter en compétence, pour que les plus doués assurent des rôles de management lorsque les prochaines villes seraient construites. Les milliers d’adhérents de « France pour tous » avaient insisté pour que l’ascenseur social existe à Hope car les français ne seraient pas assez nombreux pour construire les autres villes et surtout la perspective de progresser dans la hiérarchie motive énormément les gens. Sur 300 000 personnes arrivées à Hope, 30 000 construisaient les sphères.

Le soir, Jasur retrouva Jason et sa nouvelle copine brésilienne, Julianna. La soirée fut tranquille car ils étaient tous fatigués par leur nouvelle vie. De plus, l’alcool et l’herbe n’étaient plus à volonté et il était devenu impossible de se procurer de la drogue. L’entretien de Julianna avait également eu lieu ce mardi. Elle avait demandé à être esthéticienne et l’officiel français lui avait proposé trois choix. Etre salarié d’un grand groupe, posséder son magasin en faisant partie d’une franchise ou être totalement indépendante. De même que pour Jasur, elle devait attendre le lendemain à 14 heures le résultat de l’ordinateur car même si elle désirait être indépendante, les postes seraient d’abord proposés aux plus expérimentés et à ceux qui possédaient le plus de connaissance en gestion d’entreprise.

Jasur se réveilla le mercredi matin tout excité par les perspectives offertes par sa nouvelle vie. Il se rendit à l’examen de français mais il connaissait déjà la réponse. Il devrait commencer en tant que débutant car le français était peu enseigné à l’étranger et il avait préféré apprendre l’anglais. Son incroyable mémoire lui avait permis de mémoriser des phrases de Victor Hugo mais son savoir en français s’arrêtait là. Il n’y eut donc pas de bonne surprise et le résultat du test fut sans appel avec son affectation dans le groupe le plus faible « Français de survie ». Il y avait six niveaux pour prétendre parler français et chacun demandait deux mois d’étude. Tous les matins, il allait étudier le français pendant trois heures avant de se rendre à son travail. En amoureux des langues et de la linguistique, il était heureux d’apprendre la langue de Molière mais pour l’instant il n’avait pas le temps de rêvasser car il était attendu par l’officiel français pour qu’il lui présente ses entretiens d’embauche.


Article rédigé par: Julien Bourlon le 01/06/09
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