Un phare dans l'océan

Jasur décide d’aller à Hope


Vivien partit visiter les merveilles de l’Ouzbékistan avec son ami Arnaud le 30 juin 2018, soit treize mois après la victoire de Marc Couturier à l’élection présidentielle. Celui-ci tenait ses promesses et la première ville de Hope était déjà en construction. La France avait racheté un terrain de 300 kilomètres carrés à des agriculteurs en Creuse et après un concours d’architecture remporté par les américains, les deux géants du BTP français, Vinci et Bouygues construisaient la première ville de Hope. Quand celle-ci serait terminée, elle posséderait une dizaine de sphères gigantesques qui hébergeraient le million de personnes attendues et les usines qui donneraient du travail à tous. Les plans prévoyaient les futurs agrandissements de la ville qui pourrait accueillir jusqu’à 5 millions de personnes en 2028. Les travaux avançaient lentement en attendant les immigrés, qui arriveraient par vague de 50 000 tous les dimanches à compter du 1 janvier 2019. C’était délibéré pour faire baisser les coûts de main d’œuvre puisque sur les 100 000 travailleurs nécessaires à la construction de la ville, seuls 10 000 étaient directement issus des deux entreprises françaises. Les 90 000 ouvriers restants, seraient recrutés parmi les nouveaux habitants qui dormiraient dans une ville temporaire en attendant la fin des travaux. Depuis la victoire de Marc Couturier, la France était en pleine effervescence avec des milliers d’emplois qui avaient été créés pour construire les nouvelles autoroutes, écrire le nouveau système informatique de Hope qui gérerait toutes les transactions financières, bâtir les machines outils nécessaires à la construction des villes…

Vivien n’avait pas beaucoup d’argent, mais il avait réussi à financer son voyage en Ouzbékistan. Le gouvernement français avait voté une loi permettant à chaque français de gagner 500 euros par immigré qu’il ferait venir à Hope. Pour toucher la prime, ceux-ci devaient avoir entre 20 et 40 ans et avoir travaillé au moins trois mois dans le nouveau pays, mais il était possible de recevoir des avances lorsque les habitants potentiels s’inscrivaient sur le site web avec l’intention de venir à Hope. Avant son départ pour Tachkent, la capitale Ouzbek, Vivien avait imprimé une cinquantaine de dépliants écrits en russe ou en anglais qui expliquaient le fonctionnement du nouveau pays à ses futurs habitants. Ainsi les personnes intéressées savaient qu’en trouvant du travail à Hope, elles disposeraient de l’éducation gratuite pour les enfants, d’une justice non corrompue, d’une ville propre et hygiénique, de docteurs de qualité, cotiseraient à un régime de retraite et à une sécurité sociale…
Après deux jours à Tachkent où ils allèrent à l’opéra et visitèrent quelques musées, Vivien et Arnaud partirent dans la vallée de Ferghana à l’est du pays. Ils allèrent sur le parking de la gare où ils trouvèrent un chauffeur qui espérait d’autres passagers pour partager le prix du transport, puis après une négociation faite dans la bonne humeur, ils partirent en direction des montagnes. Celles-ci furent traversées rapidement car une autoroute à trois voies qui avait servi aux russes dans les années 1980 pour emmener leurs chars en Afghanistan, permettait de rouler à plus de 100 kilomètres heure au milieu des neiges éternelles. Une fois dans la vallée de Ferghana, ils traversèrent des centaines de champs de coton avant d’arriver à Andijan. La vallée était devenue verdoyante grâce aux 180 000 ouvriers des peuples d’URSS qui avaient creusé les gigantesques canaux en seulement 45 jours. Il constaterait plus tard que la luxuriance du lieu contrastait avec l’aridité qui régnait autour de la mer d’Aral, dont l’eau qui s’évapore n’est plus remplacée par les fleuves désormais utilisés pour l’irrigation. L’hospitalité dans la vallée était extraordinaire et très rapidement nos deux amis se firent inviter par des familles pour manger le Plov, le plat traditionnel à base de poulet et de riz. C’est au cours de ces rencontres qu’ils rencontrèrent Jasur, un jeune homme de 25 ans qui parlait parfaitement anglais. C’était un être fascinant, capable de citer Victor Hugo en français ou d’expliquer la sémantique des mots mais parfois un peu fou lorsqu’il pensait être protégé par Dieu en regardant le soleil sans protection, ou en confondant rêve et réalité lorsqu’il expliquait que le feu ne le brûlait pas. Vivien et Arnaud se prirent d’amitié pour ce jeune homme un peu bizarre et chacun se mit à raconter sa vie, son pays, sa culture, puis la conversation glissa vers la religion. L’Islam qui avait quasiment disparu d’Ouzbékistan à l’époque communiste, avait fait un retour fracassant après le démembrement de l’URSS en 1991. Dans les années qui suivirent, l’Arabie Saoudite avait financé des madrasas et des mosquées par millier. Jasur, comme tous ses compatriotes, avait été élevé dans cette religion mais contrairement à beaucoup d’entre eux, il avait eu la chance de recevoir une éducation plus traditionnelle avec les langues étrangères, la physique ou l’histoire lorsqu’il était allé à Moscou pour suivre son université. L’éducation nationale, primordiale à l’époque de l’URSS, avait progressivement disparu au profit d’écoles islamiques qui se focalisaient sur le Coran en occultant complètement les autres savoirs. La discussion dura assez longtemps sur ce sujet sans fin avant que Vivien ne pose des questions sur le quotidien et les perspectives d’avenir des Ouzbeks :
- Depuis 1991, nous vivons sous la dictature. Le pays est complètement corrompu, la liberté de la presse n’existe pas, nous n’avons aucun métier intéressant et pour que les gens ne soient pas au chômage, 25% de la population active est dans l’armée, prêt à intervenir au moindre signe de rébellion. Je n’ai aucune perspective dans ce pays alors que je rêverai d’aller en Italie ou en France dont j’adore particulièrement la culture.
C’était le moment opportun que Vivien espérait pour présenter son dépliant sur Hope. Jasur le lut avec attention et son visage s’illumina. Il pouvait quitter son pays et vivre dans un pays libre sans être constamment jugé. Pris d’espoir, il leur expliqua que les mœurs musulmanes l’étouffaient.
- J’aime danser et boire de l’alcool mais ici, mes frères musulmans sont pires qu’une police d’état pour réguler nos actes. Heureusement, j’ai une amie orthodoxe avec qui je peux sortir de temps en temps, mais ma famille me juge durement. C’est horrible ! Il faut vraiment que vous m’aidiez à partir car je suis obligé de vivre comme un chien avec des fonctionnaires corrompus qui me prennent mes faibles revenus d’ingénieur électricien.
Vivien sortit son iPone et se connecta à Internet pour inscrire Jasur sur le site web de Hope. Ensemble, ils commandèrent le billet d’avion pour rejoindre le nouveau pays qu’ils payèrent cinq euros. Jasur rembourserait le coût réel du billet lorsqu’il recevrait un salaire à Hope. En cinq minutes, la procédure était terminée et il ne restait plus qu’à attendre un mail du gouvernement français qui indiquerait le lieu et la date pour prendre l’avion pour la France. Après cette soirée mémorable, les deux français revirent Jasur lors d’un mariage sur Tachkent. Le fiancé était un russe que Jasur avait rencontré à Moscou lorsqu’il avait obtenu son diplôme d’ingénieur. Parmi les invités, Vivien nota que certains avaient des têtes terrifiantes et lorsque certains russes commencèrent à en venir aux mains après avoir bu trop de vodka, ils virent Jasur intervenir avec une dextérité peu commune pour les séparer. C’était surprenant car contrairement aux russes qui faisaient plus d’un mètre quatre-vingt-cinq, le jeune Ouzbek semblait minuscule avec ses 55 kilos et son mètre soixante-dix. Vivien apostropha Jasur quand il revint s’asseoir avec eux :
- Où as-tu appris à te battre et te faire respecter comme ça ?
Jasur resta impassible et répondit sans montrer la moindre émotion
- Oh, je ne sais pas me battre. Ce sont des amis et comme je suis beaucoup plus petit qu’eux, ils n’osent pas se défendre contre moi.
Vivien n’insista pas mais il avait l’impression que Jasur aurait pu tuer les cinq russes en cinq mouvements. Il sortit rapidement de son expectative quand un des russes monstrueux vint lui proposer de la vodka. Il savait qu’il ne faisait pas le poids et une heure plus tard, il vomissait dans les toilettes, complètement ivre.

En décembre 2018, Jasur reçut le mail du gouvernement français avec un visa officiel pour Hope. Il partirait de Tachkent le 15 février 2019 pour un vol direct vers Limoges. De là il prendrait un bus pour rejoindre « Sphères », la ville futuriste où il commencerait à travailler. Jasur avertit ses parents la veille de son départ pour éviter que des personnes aux oreilles bien pendues ne préviennent la police de son départ. Pour une fois, sa peur n’était pas justifiée car le gouvernement Ouzbek avait donné son autorisation à la France pour faire venir mille ouzbeks à Hope mais après 30 ans de dictature, les gens restaient prudents. Si les adieux furent chargés de larmes, Jasur se sentit joyeux et libre en montant dans l’avion. Il allait enfin comprendre ce que veulent dire les mots : liberté, justice ou espérance.


Article rédigé par: Julien Bourlon le 30/05/09
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