Un phare dans l'océan

Une France irréformable par la loi


- Ca fait plaisir de te revoir Lily!
- C’est vrai qu’avec Richard, nous avons un peu traîné pour venir en France.
- Un peu ? Ca fait onze ans que nous ne nous sommes pas vus. Heureusement, il y a Facebook, répondit Julien. Il salua Richard qu’il voyait pour la première fois, puis présenta sa femme Isabelle. Lily et Julien s’étaient rencontrés quelques jours en Australie où ils avaient travaillé partiellement pour financer leur voyage. Il y a une semaine Lily avait envoyé un mail à tous ses contacts français pour annoncer sa venue et Julien lui avait donné rendez-vous à coté du canal saint martin dans un restaurant au bord de l’eau. Après quelques bavardages et la commande des menus, il se montra nostalgique de son voyage de jeunesse sur cette île continent à l’autre bout du monde.
- Tu te rappelles Darwin ?
- Bien sûr, tu allais voler dans les magasins notre alcool quotidien.
- Et les machines à laver que l’on pouvait utiliser gratuitement avec des cotons tiges !
- Oui, il y avait aussi les backpackers que tu ne payais jamais.
- Hé, hé, je les ai bien niqués, ces Australiens !
- Il ne fallait pas les prendre pour des cons non plus, Mehdi n’a jamais trouvé de boulot car dès qu’il disait qu’il était français, les patrons refusaient de le prendre.
- C’est qu’il n’était pas doué. J’étais allé au port et en deux jours, j’avais trouvé un travail à 18 dollars non déclarés de l’heure, j’étais riche !
- Surtout que tu touchais le chômage à l’époque.
- Bien sûr, mes six premiers mois, l’état français me donnait mille euros par mois mais j’ai lutté pour les avoir ! Avant j’avais travaillé chez EDF en CDI pendant un an. J’avais un contrat de merde puisque tous les vieux embauchés avaient fait des réformes pour garder leurs avantages tandis que les jeunes embauchés n’avaient rien.
Richard le coupa :
- C’est ignoble avec une telle mentalité, c’est la régression sociale ! Si vous voulez retrouver les conditions de travail décrites dans Germinal, vous ne vous y prendrez pas autrement. Il faut dire que cette mondialisation ne fait pas que du bien avec des paradis fiscaux qui permettent aux riches de ne plus payer d’impôts et une compétition exacerbée avec les pays pauvres qui aboutit à la baisse des salaires des plus pauvres d’entre nous. Et ce qui est extraordinaire, c’est que ces mécanismes d’externalisation devraient faire baisser les prix et donner du pouvoir d’achat. Mais non ! Tout augmente à cause de la finance mondiale qui nous pille !
Richard était devenu rouge en s’emportant tout seul. Julien ne souhaitait pas partir dans ce débat et après une réponse rapide, il revint à son histoire.
- Pour la régression sociale que tu évoques, c’est aussi une question de mentalité française. Tout le monde cherche à niquer tout le monde et si tu es honnête, tu passes vraiment pour un abruti. Les salariés d’EDF niquent les jeunes salariés dans la pure tradition française, alors ça ne choque personne. Enfin toujours est-il que j’avais un travail en CDI à EDF et quand j’ai voulu me faire licencier, j’ai dû lutter deux semaines car ils voulaient que je démissionne sans recevoir les aides. Je les ai tellement pourris qu’ils ont fini par me virer et j’ai eu le chômage. Tu vois Richard, un mec honnête démissionne et n’a aucune aide, un mec normal joue au con, se fait virer et reçoit les aides. Ca fait bien longtemps que l’honnêteté ne paie plus en France, mais avoue, Lily, tu étais bien contente que je paie mes tournées de bière quand nous étions à Darwin !
- C’est vrai. Les français, vous étiez des sacrés opportunistes malhonnêtes mais les filles vous aimaient bien.
- Hé ouais, nous sommes des rebelles !
- Après Darwin, tu as fait quoi ?
- Il me restait encore trois mois et je suis parti dans le Queensland. Je travaillais un jour par semaine en vendant des tableaux à 500 dollars que j’avais acheté 200 aux Chinois. Je gagnais super bien ma vie en inventant une histoire à chaque tableau, comment je l’avais peint, le sens caché des nuages… Certains me croyaient, d’autres avaient pitié mais ils étaient nombreux à m’en acheter, alors je m’en foutais qu’ils me méprisent.
- Et après l’Australie ?
- Je suis rentré en France pour fêter mes vingt-cinq ans et demander le RMI, puis je suis parti en Thaïlande. Dans ce pays, tu es le roi du monde avec 500 euros par mois ! J’y suis resté un semestre en passant la frontière de temps en temps pour rallonger mon visa. C’était génial avec les full-moon party et les half-moon party de Koh Phangan. Je louais une maison pour trois fois rien et mes potes venaient me voir.
Richard l’interrompit une nouvelle fois.
- Et ça ne te dérangeait pas de vivre au crochet de la société française ?
- Non car j’ai fait un BTS donc si je compare ce que j’ai coûté à la France par rapport à tout ceux qui ont fait des études, le coût de mon chômage et de mon RMI ne représente pas grand-chose.
Julien rajouta avec ironie :
- Et puis en 2011, après ma rencontre avec Isabelle, j’ai créé mon agence de voyage. Toute l’expérience acquise pendant ma jeunesse correspond à une formation que m’a payée l’Etat pour que je puisse conseiller mes clients voyageurs.
Isabelle se sentait attaquée par les paroles de Richard et ajouta :
- En fait, Julien ne devrait même pas se justifier car avec tous les impôts qu’il paie, il est normal qu’il en récupère une partie. Et puis, c’est devenu la culture française que d’essayer de niquer le système. A cette époque, Chirac était président et tout le monde savait que c’était un voleur qui avait piqué dans les caisses de l’état ou de la ville de Paris avec des emplois fictifs. Maintenant que notre couple gagne de l’argent, je sais qu’il existe des systèmes pour que ceux qui paient 30% d’impôt sur le revenu ou plus, puissent défiscaliser la totalité de leurs impôts. C’est pareil pour les sociétés qui gagnent des milliards mais se débrouillent pour faire des montages financiers avec des filiales qui perdent de l’argent pour ne plus payer d’impôts. Bref, qui paie ? Les classes moyennes qui ne gagnent pas assez pour défiscaliser ou qui sont mal informées par les experts car leurs gains potentiels ne sont pas assez substantiels. Des exemples, j’en ai des millions avec les chèques sans nom que tu fais à ton médecin pour qu’il paye son resto sans être taxé, les plombiers ou les garagistes qui gonflent les factures quand les assurances payent… Alors, évidement que Julien n’a pas honte !
Richard fit la moue.
- Avec un tel fonctionnement où tout le monde tente de tirer profit du système, celui-ci va forcément faire banqueroute.
Julien reprit :
- Tout le monde le sait, nous n’aurons pas les moyens de payer les retraites dans trente ans ou le système de soin. Ceux qui cotisent actuellement l’auront dans l’os ! Mais dès que quelqu’un veut faire une réforme, tous les gens font grève pour montrer leur exaspération et la réforme qui pouvait améliorer la situation part au placard pour rétablir l’ordre.
- Mais c’est stupide !
- C’est comme ça. Dans toutes les réformes, il y en a qui se font baiser et nous sommes solidaires avec eux. Nous n’avons plus confiance dans l’Etat alors quand ils disent qu’ils redistribueront l’argent pris aux classes moyennes, nous ne les croyons plus. Et puis, la grève, c’est culturel. Je me rappelle de 2009, j’étais de toutes les manifestations et pourtant je ne comprenais rien. J’avais un boulot en CDD que j’allais perdre à cause de la crise et j’avais les boules de payer les pots cassés à la place de tous les financiers qui recevaient des milliards de l’état. Quant à notre président Sarkozy, il se la jouait mister blingbling après avoir multiplié son salaire par trois. Je ne lui donnais pas tort sur les réformes mais j’en avais ras le bol, alors je descendais dans la rue pour un oui ou un non et je cassais quelques vitrines. Attention, je choisissais des grands groupes pour éviter de pénaliser les pauvres français comme moi.
Richard s’exclama devant un tel constat d’échec :
- Mais alors vous êtes condamnés à la régression. Vos enfants auront tous des boulots de merde car vous supprimez les avantages aux nouveaux embauchés, vos salaires stagnent quand les prix augmentent et vous refusez toutes les réformes. Comment allez-vous vous en sortir ?
- J’ai vu pas mal de français qui ont quitté le pays pour ouvrir leur business à l’étranger tout en essayant de toucher un maximum d’aides de l’état français. Après il y a toujours des opportunités en France avec des gens qui s’en sortent mieux que d’autres. Par exemple, mon agence de voyage fonctionne correctement.

Lily souhaitait changer de conversation. Elle était sortie avec quelques français en Australie et connaissait bien les coutumes de ce peuple contestataire, arc-bouté sur ses acquis, roublard et opportuniste.
- Et alors ça fait longtemps que vous êtes ensemble avec Isabelle ?
- Bientôt cinq ans. Elle m’a stabilisé.
Julien se tourna vers Isabelle et l’embrassa pour lui montrer sa reconnaissance. Son épouse expliqua leur rencontre dans un musée.
- Julien me regardait attentivement ce qui me mettait mal à l’aise car je ne le connaissais pas. Au bout d’un moment, je lui demandais « Vous avez un souci ? » et il m’a répondu « Je suis dans ce musée pour contempler la beauté du monde alors je vous regarde ». J’ai trouvé ça pas mal…
Isabelle était une bavarde et la conversation dura quelques heures, rendues agréables par une balade digestive au bord du canal saint martin. Vers minuit, le petit groupe se sépara.
Une fois qu’ils étaient à une distance suffisante, Isabelle demanda à Julien.
- Tu l’as baisé en Australie ?
- Je ne crois pas, ça fait longtemps.
Julien se rappelait très bien les trois nuits avec Lily, mais c’était un passé oublié qui ne méritait pas d’attiser la jalousie de sa femme.


Article rédigé par: Julien Bourlon le 30/05/09
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